Cinéma

Art ou industrie, moyen d’expression ou rituel collectif, tout comme le théâtre ou la danse, il est avant tout un spectacle, assujetti à une technique rigoureuse. Quelles que soient les intentions de son auteur, un film ne peut être réalisé sans une parfaite maîtrise de cette technique, l’assistance d’une équipe spécialisée et l’utilisation d’un matériel plus ou moins important, mais toujours coûteux. Tout cela nécessite donc la mise en aeuvre de capitaux souvent considérables, qui font aujourd’hui du septième art une véritable industrie. Son pouvoir de distraction et d’information ne cesse de croître avec la qualité de ses productions et l’élargissement de sa diffusion.

Brève histoire du cinéma. Précurseurs et pionniers. Le XIXe siècle fut pour les sciences et les techniques ce que la Renaissance avait été pour les arts et la culture. Avant même la réalisation des premières photographies, un physicien belge, Joseph Plateau, avait imaginé, en 1832, un système ingénieux capable de traduire le mouvement à l’aide d’une succession d’images qu’il faisait défiler rapidement devant ses yeux : le phénakistiscope. Ce jouet au nom barbare fut ainsi le premier à mettre en pratique un principe d’optique connu depuis sous le nom de projection cinématographique. Plus tard, après l’invention de la photographie, l’Anglais Muybridge, puis le Français Marey mirent en évidence le phénomène inverse avec le fusil photographique et le chronophotographe, capables de décomposer le mouvement en une suite d’images fixes. C’est en perfectionnant ces inventions que Louis Lumière réalisa un appareil, tout à la fois caméra et projecteur, qu’il fit breveter en 1895 sous le nom de cinématographe. A la fin de la même année, il organisait au Grand Café, à Paris, la première séance de projection publique de l’histoire du cinéma : la Sortie des usines Lumière, la Baignade en mer et l’Arrivée du train en gare de La Ciotat obtinrent immédiatement un grand succès auprès du public. Pour exploiter un tel engouement, qu’ils croient éphémère, les frères Louis et Auguste Lumière vont filmer dans le monde entier de courtes séquences prises sur le vif qui constitueront en quelque sorte nos premières actualités cinématographiques. Néanmoins, en dépit de quelques tentatives historiques (l’Assassinat du duc de Guise) ou comiques {l’Arroseur arrosé), le cinéma ne semble pas devoir dépasser le stade d’une mode sans lendemain ou d’un outil ingénieux pour les hommes de science. C’est alors que Georges Méliès lui donna une impulsion décisive en réalisant les premiers films à grand spectacle, pour lesquels il utilisa des procédés qui allaient désormais se généraliser et faire du cinématographe le septième art : acteurs professionnels, costumes, truquages, tout est mis en oeuvre dans le Voyage dans la Lune (1902) ou dans la Conquête du Pôle (1912) pour créer un véritable spectacle capable de rivaliser avec le théâtre ou le cirque.

La naissance d’une industrie. Dans le monde entier, des « fabriques » concurrentes vont prendre la relève de Méliès, Pathé et Gaumont. Aux Etats-Unis, Goldwyn et Fox installent leurs firmes dans une obscure banlieue de Los Angeles, Hollywood, où Griffith et Mack Sennett réalisent leurs premières oeuvres. En Scandinavie, l’Abîme, tourné en 1911 avec Asta Nielsen, consacre la naissance d’un nouveau mythe : celui de la vamp. En Allemagne, l’Etudiant de Prague (1913) et le Golem (19 14) marquent le début du cinéma fantastique. Parallèlement au perfectionnement des techniques, le début du siècle voit se développer l’aspect financier du septième art avec la mise en oeuvre de « gros moyens ». Ainsi, en 1916, Intolérance, réalisé par Griffith et produit par Cecil B. de Mille, est la première superproduction hollywoodienne : 2 millions de dollars, 16ooo figurants et 100000 mètres de pellicule furent nécessaires pour tourner ce film en quatre épisodes où sont utilisés de nombreux procédés techniques nouveaux (hardiesse du montage, importance du découpage, etc…).

Feuilletons et héros à suivre. A la même époque, les cinéastes s’inspirent de la vogue des feuilletons pour réaliser de nombreuses séries de films qui permettent de suivre les aventures d’un même héros. Fantomas. Judex ou les Vampires (avec Musidora) seront très populaires en France, de même qu’aux Etats-Unis les serials, tels que les Mystères de New York ou le Tigre de la sierra, qui parachèvent le type de la vedette, victime ou femme fatale (Pearl White, Theda Bara), héros au grand cSur ou justicier implacable (Tom Mix, Douglas Fairbanks). Découvert en 1913 par Mack Sennett, Charles Chaplin va rapidement imposer son personnage, désormais célèbre, dans d’innombrables courts métrages, dont il sera à la fois le metteur en scène et l’acteur (Charlot chef de rayon, Charlot patine, Charlot s’évade, l’Emigrant), puis dans des longs métrages (les Temps modernes, la Ruée vers l’or. etc.). L’expressionnisme allemand, qui imposait un style nouveau à la littérature et à l’art pour réagir contre l’impressionnisme et le naturalisme, se fraie une nouvelle voie avec le cinéma. Le Cabinet du docteur Caligari (1919), Nosferatu le Vampire (1922) et Metropolis (1926) seront autant de chefs-d’oeuvre, caractérisés surtout par une volonté systématique de démesure, l’exagération des sentiments et du jeu des acteurs, ainsi qu’une recherche délibérée de simplification psychologique qui se traduit par un symbolisme tout en contrastes. Uniquement limité aux pays germaniques, l’expressionnisme cinématographique n’en fut pas pour autant dénué d’importance, car il annonce l’évolution politique de l’Allemagne et aura plus tard une influence certaine sur nombre de metteurs en scène, en Scandinavie notamment.

Les dernières années du cinéma muet consacrent donc la suprématie de quatre pays : la France, l’Allemagne , les Etats-Unis et l’Union soviétique, ainsi que la montée du cinéma scandinave avec des réalisateurs tels que Sjöström (la Charrette fantôme, 1920) et Carl Dreyer (la Passion de Jeanne d’Arc, 1928). L’évolution de la technique permet alors de nuancer l’expression selon le genre adopté : drame, comédie, épopée, histoire ou fantastique. Mais un phénomène nouveau allait bientôt relancer l’intérêt du public pour le septième art : la sonorisation.

Image + son : un mariage heureux. Le cinéma semblait alors s’acheminer vers une impasse, tant dans le domaine de l’expression artistique que dans celui de son expansion économique : comme dans tous les arts il fallait se renouveler. Depuis plusieurs années déjà Western Electric possédait dans ses tiroirs la plupart des brevets concernant la sonorisation des films; mais, pour presque toutes les firmes cinématographiques, cette invention semblait plus dangereuse que profitable en raison des graves problèmes de reconversion qu’elle risquait d’engendrer. Sur le plan purement artistique, de nombreux metteurs en scène et écrivains se montraient hostiles à ce qu’ils considéraient comme « une régression désolante vers le théâtre » (André Breton) ; ainsi, René Clair affirma en 1929 : « Il est à craindre que la précision de l’expression verbale ne chasse la poésie de l’écran comme elle en chasse l’atmosphère du rêve. » Quoi qu’il en soit la Warner Bros, presque ruinée, décida de tenter le tout pour le tout en produisant un opéra filmé, Don Juan, puis deux autres films musicaux avec Al Jonson, dont le succès fut considérable. Force fut donc aux producteurs concurrents d’adopter cette technique nouvelle, qui s’imposa définitivement à partir de 1929. Si nombre de metteurs en scène continuent alors à réaliser des films musicaux (Le congrès s’amuse) ou semi-musicaux (l’Opéra de quat’ sous, tourné en 1931 par Pabst, d’après la pièce de Bertolt Brecht), dautres savent rapidement tirer parti de ce mariage heureux du son et de l’image. Ce fut notamment le cas de Fritz Lang (M le Maudit, 1931) et de Hitchcock dont le premier film important, Chantage (1929), marque le début du « cinéma parlant » en Grande Bretagne. En France, René Clair, dont la méfiance est décidément tenace, se refuse à utiliser le son en contrepoint absolu de l’image, selon un principe mis en avant dès 1929 par un manifeste d’Alexandrov, Eisenstein et Poudovkine. Mais ce refus l’obligera à avoir recours à d’innombrables « trucs » (dans Sous les toits de Paris, en particulier) qui, finalement, ne se généraliseront guère. Son oeuvre néanmoins (le Million, 1931; Quatorze-Juillet, 1932) sera le point de départ de l’école française du réalisme poétique. Plus ou moins réaliste, mais souvent poétique, cette tendance sera celle de Renoir (Boudu sauvé des eaux, 1932 ; la Grande Illusion, 1937 ; la Règle du jeu, 1939) et de Carné (Drôle de drame, 1937 ; Hôtel du Nord, 1938 ; Le jour se lève, 1939).

Aux Etats-Unis, trois spécialités nationales vont désormais rivaliser avec le western : les films de gangsters (Scarface, de Hawks, 1932), les films d’épouvante (Frankenstein, de Whale, 1931 ; King-Kong, de Shoedsack et Cooper, 1933) et la comédie américaine, qui consacrera le talent de Lubitsch (Sérénade à trois, 1933), Cukor (Philadelphia Story, 194o) et Capra (l’Extravagant Mr Deeds, 1936). C’est à la même époque que Walt Disney donne au dessin animé ses lettres de noblesse avec les aventures de Donald, Mickey et Pluto et le premier long métrage de ce genre, Blanche-Neige (1938).

L’Union soviétique, fidèle à ses principes idéologiques, adopte cependant un ton plus détendu, parfois même nettement anarchisant (les Joyeux Garçons, d’Alexandrov, 1934). Le maître demeure incontestablement Eisenstein ; après un séjour malheureux en Amérique où il tourne Que Viva Mexico (1930), il revient dans son pays où il réalise notamment le remarquable Alexandre Nevski (1938). Parmi les autres metteurs en scène importantsde cette époque, citons en particulier Donskoï et Vertov, théoricien du « cinéma-Sil ».

La Seconde Guerre mondiale va ralentir considérablement le rythme de la production cinématographique, sauf aux Etats-Unis où nombre de metteurs en scène européens iront se réfugier (Clair, Renoir, Fritz Lang). Parllèlement à des films de propagande tels que Pourquoi nous combattons, de Capra, le cinéma américain produit des Suvres remarquables dont le style nouveau aura une profonde influence par la suite sur le cinema moderne ; le principal auteur de ce renouveau est Orson Welles (Citizen Kane, 1941 ; la Splendeur des Amberson, 1942), puis Wyler et Huston. Les réalisateurs demeurés en Europe doivent se contenter, pour échapper aux films de propagande, de donner dans La féerie (les Visiteurs du soir, de Carné) ou la mièverie (le Mariage de Chiffon, d’Autant-Lara). Seul Robert Bresson, avec les Anges du péché (1943), entame une Suvre dont la rigueur et la profondeur ne se démentiront jamais. En Italie, enfin, apparaissent les premiers films de ce qui sera le néo-réalisme (0ssessione, de Visconti, 1942).

Laprès-guerre est marqué par un déclin certain du cinéma français, en dépit des expériences de Cocteau ( la Belle et la Bête, Orphée) et de réussites diverses telles que les Enfants du paradis (1945), de Carné, et la Ronde de Max Ophüls. En Italie, en revanche, la guerre semble avoir suscité l’inspiration de cinéastes qui jusqu’alors, n’avaient guère réalisé que des Suvres médiocres. Cette période voit le triomphe du néo-réalisme et des films dits sociaux avec Rossellini (Rome, ville ouverte, 1945), Zavattini et De Sica (Sciucia, 1946 ; le Voleur de bicyclette, 1948). Si le cinéma américain continue sur sa brillante lancée avec des metteurs en scène tels que Welles, John Ford ou Hitchcock (qui tourne désormais aux Etats-Unis), en Union soviétique l’après-guerre est marqué par une période de décadence qui durera plus de dix ans.

L`époque contemporaine. Paradoxalement, l’opulent cinema américain fut à peu près le seul à s’effrayer du rôle de plus en plus important de la télévision depuis la guerre. Pour lutter contre cette concurrence, Hollywood crut bon de lui opposer l’artillerie lourde des superproductions et des procédés techniques spectaculaires, tels que « cinémascope » et « vistavision ». Plus modestes dans leurs moyens, les réalisateurs européens cherchent leur salut dans un renouveau de l’espression cinématographique. Parallèlement à la pouduction de films « commerciaux » de type industriel (Fanfan la Tulipe, de Christian-Jaque, le Salaire de la peur, de Clouzot), de jeunes réalisateurs se lancent à la recherche d’un langage nouveau, bientôt soutenus, en France, par les critiques percutantes des Cahiers du cinéma, dont l’un des rédacteurs les plus acerbe, François Truffaut, se révélera comme un réalisateur des plus talentueux. La Pointe courte, d’Agnès Varda (1954), puis Et Dieu créa la femme, de Vadim (1956), seront à l’origine de ce renouveau. En dépit de leurs réelles qualités techniques, nombre dentre eux se réfugieront peu à peu dans des scénarios peu à peu légers et superficiels (Vadim, Chabrol), tandis que dautres s’enliseront dans un intellectualisme inquiet et volontiers frénétique (Godard, Resnais). Certains, enfin, parviendront à trouver leur équilibre entre des innovations formelles courageuses et des recherches psychologiques nuancées ; c’est notamment le cas de Truffaut (les Quatre Cents Coups, Tirez sur le pianiste, Jules et Jim, Fahrenheit 451, la Sirène du Mississippi), de Louis Malle (les Amants, le Feu follet, Viva Maria) et de Melville (Deux Hommes dans Manhattan, Léon Morin prêtre). En Italie, deux noms dominent ces dernières années : Fellini et Antonioni. Le premier recherche une synthèse du néo-réalisme et de la poésie, de la satire sociale et du rêve (la Strada, Dolce Vita, Huit et demi), le second allie la rigueur du langage à l’acuité de l’observation psychologique (l’Aventure, la Nuit). Pasolini enfin dont l’Suvre est marquée par les rapports du christianisme et des mythes antiques : Rdipe, Théorème. Avec Ingmar Bergman, le cinéma scandinave retrouve le ton de l’expressionnisme allemand (Monika, le Septième Sceau, la Honte), tandis que d’autres metteurs en scène tendent à se spécialiser dans la description complaisante des problèmes de la sexualité. Dans les pays communistes libérés de la contrainte stalinienne, le septième art trouve un nouveau souffle avec Tchoûkhrai en Russie (le Quarante-et- Unième, la Ballade du soldat), Kawalerowicz (Mère Jeanne des Anges) et Wajda (Cendres et diamant) en Pologne, ainsi que de jeunes réalisateurs tchèques comme Vera Chytilova (les Petites Marguerites) qui font preuve d’une grande originalité.

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