Ballet

Depuis les origines de l’homme, la danse est une manifestation naturelle, intimement liée à l’expression de la peur, de la soumission aux dieux et à la nature. Elle est une suite de mouvements extatiques incontrôlés, inséparables des cérémonies religieuses et ce, pour les hommes de toutes races et de tous pays. Associée au chant et à la parole, elle donnera naissance au théâtre proprement dit. Avec l’esprit rationnel, les mouvements du corps devront trouver une justification nouvelle, celle de leur beauté et de leur symbolisme organisé ; c’est l’avènement du spectacle de ballet, avec son langage approprié qui ne se sépare pas de la mise en forme du langage musical.

Temps modernes. Les Portugais du xve siècle inventèrent le ballet ambulatoire, combinaison de marche et de danse imitant la pompe tyrrhénienne et que l’on vit à la canonisation du cardinal Charles Borromée et à la béatification d’Ignace de Loyola. La procession de la Fête-Dieu réglée à Aix en 1462 par le roi René était un ballet ambulatoire dont les nombreuses scènes allégoriques étaient appelées « entremets », ce qui nous mène aux premiers ballets italiens réguliers, conçus initialement pour offrir à la société des illustres amateurs de quoi satisfaire leur solide appétit : on servait en dansant. Bergonzio di Botta, de Tortone, donnait des fêtes qui sont restées dans les annales de la gastronomie et de la danse

Les grands ballets de cour s’ensuivirent, d’abord réservés au mariage des rois, à la naissance des princes : on distinguait les ballets poétiques, allégoriques et moraux, et ceux de fantaisie ; ils avaient cinq actes, chacun présentant de trois à douze entrées. En France, ce type de ballet séduisit Catherine de Médicis, et Baltasarini (Beaujoyeux) en fut le chorégraphe, qui composa en 1581, pour les noces du duc de Joyeuse, le fameux Ballet comique de la Reine. En vingt ans, le bon roi Henri fit donner plus de quatre-vingts ballets à sa cour, sans compter les bals et les mascarades ; son maître de ballet n’était autre que l’intendant Sully. Pour distraire la cour grave de Louis XIII, le duc de Nemours inventa un lourd et douteux Ballet de maître Galimatias

Le progrès des arts dramatiques, sous Mazarin, profita au ballet. Cassandre, livret de Benserade, marqua la première apparition sur scène du roi de treize ans qui, pour faire plaisir à Mazarin, se produisit en public dans la Prospérité des armes de la France. Louis XIV fonda l’Académie de danse, qui se tenait dans un cabaret ‘à l’enseigne de « l’Epée-de-Bois » et que présidait Galant-du-Désert, maître à danser de la reine. Jusqu’alors les rôles féminins étaient tenus par des hommes travestis et masqués, mais les femmes prirent leur revanche : elles parurent dans un premier ballet, le Triomphe de l’Amour, sans masque, car elles étaient jolies et ne tenaient pas à le cacher. Lully n’avait que quatre danseuses, mais célèbres : Lafontaine, Roland, Lepeintre et Fernon. Leur maître introduisit la danse légère, appelée jusqu’à lui baladinage, et fixa le ballet classique, dont les figures ont gardé leur nom français primitif dans tous les pays où il s’est répandu. On vit les premiers entrechats en 173o et la première pirouette en 1.766 ; disparaissent alors les masques, les chaussures à haut talon, les plumets, les perruques et les casques ; allégés, les danseurs découvrent la virtuosité ; les allégories pompeuses font place aux pastorales. Jean-Georges Noverre (1727-1810) est à l’origine de ce « ballet d’action » dont il a fixé les règles dans ses Lettres sur la danse et sur les ballets (176o) : l’expression des passions est traduite par la pantomime, aux attitudes accusées, assujetties à la musique ; plutôt que la parole, les arts plastiques doivent suggérer la réalité. Noverre a fait école, et Gardel, Dauberval et surtout les Vestris furent ses continuateurs : cette dernière famille, originaire de Florence, a régné presque un siècle sur notre danse : Gaétan Vestris (1729-1808) est resté cinquante-deux ans à l’Opéra ; il disait de son fils, qui lui succéda: « Quand mon fils touche le sol, c’est seulement par fraternité avec les autres danseurs. » En Italie même, le chorégraphe S. Vigano (1769-1821) applique les théories de Noverre à la Scala de Milan. Pour régler l’ordonnance de ses ballets, Prométhée, la Vestale, il prend pour modèle des bas-reliefs et des statues ; chaque exécutant est l’objet d’une recherche très étudiée. Son compatriote Carlo Plasis (1803-1878), auteur du célèbre Code de Terpsichore, annonce la grande danse romantique.

Le ballet romantique ajoute au réalisme de la période précédente les éléments d’un monde imaginaire et surnaturel ; comme en littérature, ses inspirateurs sont Ossian et Byron. Aux personnages mythologiques succèdent les elfes et les sylphides : la Sylphide de Schneitzhoeffer (1832) assura le triomphe de Maria Taglioni (1804-1884) ; elle enchantait le public par la simplicité et la grâce de son art. Théophile Gautier l’appelle « la danseuse chrétienne » et par opposition voit en Fanny Elssler (1810-1884) la « danseuse païenne »; cette dernière fit des tournées en Europe, en Russie et aux Etats-Unis ; elle excellait dans les danses nationales, et spécialement celles d’Espagne. Avec Giselle, dansé en 1841 par Carlotta Grisi, le ballet romantique atteint son apogée. Le danseur perd de son importance, sa présence sert surtout à mettre en valeur la virtuosité de la ballerine, qui abandonne la demi-pointe pour la pointe. Le « tutu » ou tunique courte vaporeuse qu’Eugène Lamy réalise pour Maria Taglioni devient, avec le collant et les chaussons, le costume académique ; le costume historique subsiste cependant pour s’allier aux décors plus exotiques. Les chorégraphes s’efforcent d’associer la danse d’expression, la pantomime et la virtuosité de la danse classique ; les efforts les plus intéressants sont ceux de Jean Coralli, avec la Tentation (1832), le Diable boiteux (1836), Giselle de Jules Perrot et Arthur Léon, qui trente ans plus tard attacha son nom au ballet de Coppelia, musique de Léo Delibes.

Les ballets russes. Alors que Degas exprimait la grâce alanguie, mais un peu compassée des danseuses françaises du début du siècle, deux américaines, Loïe Fuller et Isadora Duncan, portèrent atteinte au ballet académique en utilisant comme élément scénique les jeux de lumière et en revenant à une liberté de mouvements inspirée de celle de la danse antique. Elles annonçaient la révolution d’un art que le dilettante et mécène russe Serge de Diaghilev allait complètement renouveler. La danse classique avait été remise à l’honneur à Saint-Pétersbourg par les soins du Marseillais Marius Petipa, qui avait créé à la fin du XIXe siècle une école de danse. La collaboration du chorégraphe Michel Fokine, bouleversé par la danse d’Isadora Duncan, et de Diaghilev, sensible autant à l’art et à l’âme russe qu’à ce qu’il pressentait de révolutionnaire dans l’expression de l’avant-garde, devait transformer ce ballet classique. L’idée des saisons russes est née de l’énorme succès que remporta le Boris Godounov interprété à Paris par Chaliapine en 1909 : la France découvrait une musique et un folklore qu’elle ignorait. En 1909, c’est un accueil délirant que le public parisien réservait au premier spectacle que présentait la compagnie du Ballet russe au théâtre du Châtelet : il révélait un art total dans lequel le ballet était conçu comme une Suvre collective, d’où l’étoile était exclue, mais qui remettait à l’honneur la danse masculine ; le chorégraphe avait étroitement lié le mouvement à la musique, et surtout, le peintre prenait la place occupée jusqu’alors par les fabricants de décors et établissait un rapport étroit entre son Suvre, la musique et l’acteur. Le jugement très sûr de Diaghilev, le choix judicieux de ses collaborateurs, une sensibilité ouverte à toutes les formes d’art lui permirent de dépasser rapidement le cadre national qu’il s’était donné au départ. En présentant l’Oiseau de feu en 1910, il révèle un jeune compositeur : c’est Stravinski qui lui donnera encore Petrouchka (1911), le Sacre du temps(191 3), le Chant du rossignol (1920), Noces (1923). En 1912, l’Après-midi d’un faune, de Debussy, et Daphnis et Chloé, de Ravel, annoncent le grand scandale que provoquera Parade en 1917 : l’argument de Cocteau, la musique de Satie, les décors de Picasso réunissent autour de ce ballet les plus grands noms de lart contemporain et font du Ballet russe le représentant de l’avant-garde internationale. Outre Stravinski et Satie, les musiciens sont de Falla, Prokofiev, Auric, Poulenc, Milhaud, Sauguet ; parmi les peintres on trouve Benois, Bakst, Larionov, Gontcharova, Derain. Matisse, Picasso, Léger, Marie Laurencin, Survage, Utrillo, Braque, Miro, Ernst, Chirico, Rouault et des sculpteurs, Gabo et Pevsner. Le ballet fut conçu comme une synthèse de tous les arts par ce découvreur de talents, cet amateur audacieux et éclairé qu’était Diaghilev.

Lhéritage de Diaghilev. Les spectacles du Ballet russe durent beaucoup aux chorégraphes auxquels Diaghilev a fait confiance ; en contrepartie, ces maîtres ont bénéficié des conditions de travail exceptionnelles que leur offrait Diaghilev, d’une collaboration étroite avec des artistes à la recherche d’une expression neuve, et d’une confrontation constante avec le point de la question. Michel Fokine (188o-1942), le premier chorégraphe du Ballet russe, avait compris que le mouvement, si important pour Isadora Duncan, rendait périmé le ballet classique ; il apporta une solution moderne au ballet d’action ; on lui doit la plupart des chorégraphies des premiers spectacles des ballets russes (les Danses polovtsiennes, Schéhérazade, Petrouchka, le Dieu bleu). Diaghilev semble l’avoir trouvé démodé dès 1914 et le remplace par Léonide Massine (né en 1896), pour qui l’acteur prime ; ce sens du rôle de l’acteur dans le ballet apparaît dès ses premières chorégraphies (Soleil de nuit, Parade, le Tricorne) et se retrouve dans les ballets qu’il a réglés pour le colonel de Basil ou pour le marquis de Cuevas. Alors que Massine était le chorégraphe-acteur, George Balanchine (né en 1904) est le chorégraphe-musicien, pour qui la danse est la concrétisation de la musique ; le Fils prodigue, le dernier ballet monté par Diaghilev en 1929, dansé dans des décors de Rouault sur une musique de Prokofiev, est le point de départ de la grande chorégraphie moderne de Balanchine, qui fonda après la guerre le New York City Ballet qu’il dirige encore aujourd’hui. Quant à Serge Lifar (né en 1905), il est le chorégraphe-danseur.

Mais, avant même la disparition de Diaghilev et des ballets russes (1929), l’importance que retrouvait le ballet avait suscité la création de troupes rivales. Les Ballets suédois, fondés en 1920 par Rolf de Mare et le chorégraphe Jean Börlin, tentèrent de relever le défi des ballets russes ; très souvent le choix du programme rappela les goûts de Diaghilev pour l’avantgarde, et la compagnie fit figure de suiveur plus que d’initiateur. De son côté, Ida Rubinstein, qui avait travaillé avec Diaghilev, monta des ballets à l’Opéra de Paris, secondée par des anciens collaborateurs des ballets russes comme Benois ou Stravinski. Après la mort de Diaghilev, les Ballets de Monte-Carlo du colonel de Basil se posèrent en héritiers du maître et tentèrent de continuer son Suvre.

Le ballet contemporain. Le travail de Serge Lifar à l’Opéra de Paris marque la danse des années qui précèdent et suivent la Seconde Guerre mondiale. Il est le créateur de nombreux ballets et le professeur de Roland Petit, qui le quitte pour monter les Ballets de Paris (le Loup, Carmen), de Janine Charrat, Jean Babilée et beaucoup d’autres. Aux Etats-Unis, Balanchine poursuit une carrière confirmée par le talent de ses danseurs, alors que la fantaisie de Jerome Robbins, de l’American Ballet Theatre, du Harkness Ballet, inspirés par les traditions folkloriques, et l’expressionnisme de Martha Graham donnent au ballet américain un aspect très original. En Europe, Maurice Béjart, directeur des Ballets du XXe siècle au théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, s’affirme comme le plus important chorégraphe, metteur en scènedanseur et musicien profondément moderne de son temps. L’importance accordée à la construction de l’espace, au corps de ballet constitué d’éléments internationaux représentatifs de l’univers symbolisé, à la beauté expressive du geste proche du quotidien et sublimé par une technique parfaite, a permis de faire de la danse un langage universel.

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